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Conférence de Nelly Lacince

Conférence de Nelly LACINCE, lors de la formation ” Ostéopathe du Sport ” du 25 Janvier 2008 à Montpellier :Le vécu du toucher, un éclairage singulier sur la pratique corporelle des sportifs.

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Nelly LACINCE, Professeur Agrégé UFRSTAPS Montpellier 1
Docteure en Sciences de l’Education
Responsable master2 PESAP
nelly.lacince@club-internet.fr

Au regard du statut d’artiste que l’on peut désormais attribuer à certains sportifs (handballeurs) dans nos travaux, nous pouvons affirmer que la performance sportive passe d’une conception physique de contrainte externe dans l’effort, à une conception phénoménologique de liberté dans l’effort…

En effet, leur pratique de performance est en dissonance avec celle de la logique de compétition qui n’a pour but que le résultat comptable. Chez eux le résultat n’est pas premier, c’est la vibration, résonnance sensorielle perçue dans le jeu qui les capte et les organise dans leur engagement corporel. Ils se mettent à disposition de leur système sensoriel global utile à la lecture du soi corporel. Le toucher devient le médiateur entre soi et l’environnement pour organiser sa réponse de jeu. Ce même toucher organise la fluidité de l’activité des joueurs tout en produisant la circulation des flux. Le toucher rend libre dans l’effort.

Le sens du tact en question
Le sens tactile est selon nos recherches un véritable sens de la conscience corporelle, offrant beaucoup plus que la simple palpation utile à la perception de la propriété d’un objet ou d’une personne. Au-delà, il permet d’émettre des jugements tactiles par l’intermédiaire d’autres sens. Le sens tactile renseigne sur la pression extérieure, sur la constance de l’environnement ou du contact. Il peut même trouver ce que cherche notre œil.

Le Processus Sensible de Création issu de nos entretiens avec des handballeurs :

Le toucher tactile, très présent chez Grégory Anquetil, offre les conditions et les facteurs de mise en jeu qui permettent à chacun de devenir non pas unique mais au moins singulier dans ce qu’il produit ou propose lors de ses engagements.

Le sens du toucher, dominant chez Jackson Richardson, donne des indices d’interprétation ou de délibération pour l’action d’un point de vue global à partir des propriétés de l’objet ou du jeu recherché. Le joueur dégage une qualité perceptive et décisionnelle pour ses partenaires et/ou adversaires. Pour ce deuxième toucher, la pression s’estompe aux frontières de ce corps qui intègre désormais plus la qualité de l’objet, trajectoire de la balle, vitesse des joueurs, que sa propriété même.

Ainsi le toucher tactile est la pure relation à l’objet comme chez Grégory Anquetil, le sens du toucher informe des propriétés et de la qualité de l’action en général comme chez Jackson Richardson.

Le vécu du toucher, plus ou moins présent en chacun de nous, selon notre éducation corporelle, fait le point sur les expériences ou émotions perçues passées, présentes et futures. Il donne la capacité à prédire dans une situation inconnue, à délibérer très vite dans une situation reconnue ou connue, grâce au rapport de contact que le sportif installe avec l’objet, le sujet, le milieu de l’action qu’il a mis en mémoire. Il rassemble plusieurs formes de toucher et constitue la sensibilité singulière de nos expériences physiques que chacun peut rappeler dans toutes situations. Ce que nos deux joueurs font, dans le jeu en général, en allant capter les indices sensoriels stockés dans leur mémoire corporelle pour répondre à la question du moment.

La fluidité corporelle véritable caractéristique de la motricité artistique

La fluidité du mouvement est un indicateur d’un engagement corporel adapté. Cette fluidité informe de la qualité de la présence du joueur dans l’action. Elle signifie que le joueur ne pense pas l’action ; il la joue dans l’instant présent. Le corps pense l’instant.

Lorsque le corps pense l’instant, la phénoménologie, les théories sur le corps sensoriel et les travaux récents en neurobiologie, situent deux façons d’agir :

Etre dans un mouvement historique ou reproduire des formes apprises sans que le corps ne les questionne jamais. Ces formes accumulées les unes après les autres installent des ruptures dans le mouvement. Le mouvement historique verrouille les articulations, il fait barrage au flux du mouvement, donc à la libération articulaire.

Etre dans un mouvement présentiel, installe une disponibilité sensorielle/écoute corporelle dans l’activité. Le présentiel à partir du toucher laisse entrer les flux et les fait circuler dans la chaîne motrice. Le présentiel installe du lien logique dans la gestuelle et entre toutes les gestuelles qui se rencontrent, s’affrontent, se confrontent.

Pourquoi le nomme-t-on artiste ?
Lorsque le sportif sollicite son activité corporelle, il le fait selon les trois touchers pour signifier sa présence dans l’action et organiser une réponse imprévue au départ de l’action tout en installant la fluidité dans la circulation du mouvement. De plus, le sportif artiste considère l’autre comme un partenaire de création de jeu et non un adversaire. Et enfin, il met l’événement du jeu à distance du réel, hors du temps.

Références bibliographiques :
Berthoz Alain, :
La Décision (p.17 à 22, p. 54, p. 56, p. 67, p.169, p. 299). janvier 2003, éd. Odile Jacob.
Le Sens du mouvement (p.27, p. 59). février 1997, éd. Odile Jacob, Paris.

Damasio Antonio :
Le Sentiment même de soi (p. 89, p.142, p. 144). octobre 1999, éd. Odile Jacob. Paris.
Spinoza avait raison (p. 105, p. 109, 144, p. 298). mai 2003, éd. Odile Jacob, Paris.
L’Esprit est modelé par le corps, revue Recherche Neurologie, entretien n°368, octobre 2003. Propos recueillis par Olivier Postel Vinay.

Konïg Karl :
La Conquête sensorielle du corps (p. 11). éd. DGP, Montréal Ouest Canada, Québec 1998.

Merleau-Ponty Maurice :
Phénoménologie de la perception (p. 2). éd. Gallimard 1945. Rapport sur ses travaux, 1951, présentés au Collège de France.

Nancy Jean-Luc :
Corpus (op. cit., p. 79-80, p.147).

Spinoza Baruch :
Ethique, livre III, th.2, scolie
Ethique, livre III, th.2, scolie (p. 142 à 178).

Straus Erwin :
Du sens des sens Contribution à l’étude des fondements de la psychologie, éd. Jérôme Million – 2000 pour une traduction des éditions Springer Verlag – Berlin 1935 et dans un document du Centre National de la recherche scientifique Figures de la subjectivité de J.F Courtine, approches phénoménologiques et psychiatriques, éd. du CNRS Paris 1992, Les formes du spatial – leur signification pour la motricité et la perception d’Erwin Strauss traduit par Michèle Gennat – paru pour la première fois dans « Nervenartz, 3ième année, cahier 11 (p. 142 à 178) – Berlin 1930 éd. Julius Springer.

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